Bien’ici Pro / Actus Pro / Responsabilité légale et Tracfin : immobilier et argent liquide ne font pas bon ménage
Quelles sont leurs obligations précises ? Comment identifier les transactions frauduleuses ? Bien’ici vous explique comment les agents immobiliers doivent réagir pour satisfaire aux exigences des pouvoirs publics en termes de lutte contre le blanchiment d’argent.
Tracfin (Traitement du Renseignement et Action Contre les Circuits Financiers clandestins) est un service administratif du Ministère de l’Économie, qui a pour objectif de lutter contre le blanchiment d’argent. En tant qu’agent immobilier, et donc au centre de transactions financières importantes (comme les avocats, experts-comptables, notaires…), vous êtes tenus de lui déclarer "toutes sommes ou opérations qui semblent suspectes ou douteuses".
Tous types de transactions suspectes doit donc faire l’objet d’une déclaration d’opération douteuse à Tracfin en ligne, que ce soit pour une vente, un achat, un bail, un mandat… En cas de non-déclaration, volontaire ou involontaire, vous vous exposez à une condamnation judiciaire.
Nomination d’un correspondant/déclarant
Votre première obligation est de vous inscrire sur la plateforme Tracfin. Vous devrez nommer un correspondant/déclarant auprès de Tracfin, qui sera l'interlocuteur chargé de remonter les transactions douteuses à l’organisme, et de traiter les demandes de communication de pièces ou de documents. Le correspondant et le déclarant peuvent être une seule et même personne, et peuvent être dirigeant ou employé. Tout changement de la personne responsable doit être notifié à Tracfin.
Quelles sont les opérations "suspectes ou douteuses" ?
Parmi les soupçons que vous devez remonter à Tracfin, certains tombent sous le sens, alors que d’autres sont plus difficiles à détecter. Vous trouverez sur le site economie.gouv.fr le champ d’application général de ces opérations. On peut citer notamment quelques critères qui doivent vous mettre la puce à l’oreille :
- Une valeur du bien immobilier sous-évalué par rapport au prix du marché ;
- L’utilisation de société-écran ;
- Le refus du client de fournir des preuves quant à la provenance de son apport personnel ;
- Un comportement suspicieux du client ;
- Des produits financiers ou opérations favorisant l’anonymat ;
- Un montant d’apport personnel ne correspondant pas au profil du client.
Établir une déclaration de soupçon
Une fois une opération douteuse repérée, le correspondant/déclarant doit établir une déclaration de soupçon sur la plateforme mise en place par le ministère de l’Économie et des Finances. Vous devez effectuer cette déclaration le plus tôt possible, et préalablement à l'exécution de la transaction. Elle peut intervenir après la déclaration dans les trois cas suivants :
- L’impossibilité de surseoir à son exécution ;
- Report pouvant faire obstacle au bon déroulement des investigations en cours ;
- Soupçon apparu postérieurement.
Votre déclaration de soupçon doit comporter les éléments suivants :
- L’identification de l’organisme déclarant ;
- Des éléments d’identification et de connaissance du client ;
- Des éléments d'analyse du soupçon motivant la déclaration.
Dans le cadre d’une déclaration à Tracfin, vous devez conserver pendant 5 ans les documents et informations de vos clients, afin de pouvoir justifier les décisions prises.
Établir un protocole interne pour détecter les opérations suspectes
Dans le cadre de la lutte du blanchiment d’argent, le Code monétaire et financier impose aux agences immobilières de mettre en place une cartographie écrite qui identifie et évalue les risques liés au blanchiment d’argent, et les mesures prises pour les détecter. Cette procédure doit être écrite et officielle, et indépendante des fiches d'identification de chaque client. Vous devez être en mesure de connaître et d'identifier chaque client, et mettre en place des obligations de vigilance selon le degré de risque de vos clients.
Ce système d’évaluation des risques doit donc prendre en compte 4 paramètres, pour pouvoir identifier les transactions susceptibles d’être remonté à Tracfin :
- La nature de votre activité ;
- Le profil habituel de votre clientèle ;
- Les opérations douteuses ;
- L’origine des fonds.
Vous pourrez ainsi établir une échelle des risques associée à un degré de vigilance, qui conduira, ou non, à une déclaration à Tracfin.
Former vos équipes
Pour que votre procédure contre les risques de blanchiment d’argent soit opérationnelle, il est primordial que vos employés soient en mesure de se l’approprier. Il est donc important qu’ils soient formés à la lutte contre le blanchiment d’argent, et qu'ils soient capables d’identifier les profils et transactions suspects.
N’hésitez pas à communiquer sur les degrés de risques et de vigilances à adopter que vous avez mis en place, et les situations auxquelles vous êtes le plus susceptible d’être confronté aux regards des caractéristiques propres de votre agence. Sachez qu’il existe également des modules de formation Tracfin en e-learning.
Tracfin est un service administratif et n’a donc aucun pouvoir de police ou de justice. Lorsqu’il détecte une transaction immobilière frauduleuse, il en informe le procureur de la République qui se charge de la suite des investigations.
Le secteur de l’immobilier est particulièrement représenté dans les manquements aux obligations de Tracfin, du fait d’une méconnaissance de celles-ci. Ainsi, en 2018, sur les 128 condamnations prononcées, 89 concernent l’immobilier, entraînant 33 interdictions d’exercer. Les conséquences peuvent donc être lourdes, ce qui montre l’importance d’une politique claire et ferme de votre part en interne, et d’une communication rapide avec les services de Tracfin dès qu’un doute apparaît.
Le contrôle du respect des obligations de lutte contre le blanchiment d’argent des agences immobilières est assuré par le DDPP (Direction Départementale de la Protection des Populations). En cas de manquement grave et répété, vous vous exposez à des sanctions dites "effectives, proportionnées, et dissuasives" : disciplinaires (retrait de la carte professionnelle), ou financières (amendes pénales), que ce soit de manière volontaire ou involontaire. Ces sanctions sont évaluées par la CNS (Commission Nationale des Sanctions).